16/11/2023

J’ai commencé par chercher où étaient passées les assiettes que ma mère sortait pour les grandes occasions. C’étaient des assiettes blanches, plus fines que celles que nous utilisions tous les jours, elles faisaient un bruit fragile quand je les sortais du placard qui faisait que j’avais toujours peur de les casser. Elles étaient ornées de petites roses sauvages sur le pourtour et leur bord irrégulier finissait sur un liseré doré.
J’ai appelé ma mère, qui m’a dit n’avoir aucun souvenir de ces assiettes. C’est pourtant elle qui me demandait de sortir ce service pour les repas de fête.
J’ai appelé mon père, qui ne se souvenait plus non plus mais m’a laissé le bénéfice du doute en me disant qu’il allait y réfléchir. Je lui ai dit qu’elles appartenaient peut-être à sa mère, il m’a dit qu’il chercherait.
J’ai appelé ma sœur, qui m’a confirmé que ces assiettes avaient bien existé.
Elles étaient rangées dans le placard au bout, à l’extérieur de la cuisine ouverte, en dessous du tiroir dans lequel se trouvaient les couverts en argent et les décorations pour la bûche de Noël.

Mes parents ont effacé notre enfance il y a longtemps déjà, mais je ne m’y habitue pas.

J’ai donc cherché sur internet pour retrouver ces assiettes que j’avais décidé de dessiner sans raison autre que leur survenue impromptue dans mon souvenir déclenchée par l’apparition régulière du mot rose dans mes rêves.
Parmi les centaines d’assiettes ornées de roses que Google me proposait, je me suis mise à chercher le motif, ces petits boutons de roses sauvages, qui débarrassés de leur support en porcelaine ont pris un tout autre sens.
Le bouton de rose a sonné des comme des mots de ma grand-mère qui s’émerveillait à chaque printemps des centaines de roses de son jardin. “Les boutons de roses”, j’entends sa voix, sa prononciation avec un reste presque éteint d’accent des faubourgs parisiens, le r qui roucoule encore un peu. Ces mots prononcés par elle contiennent l’image du sexe des petites filles, le ravissant et l’obscène se mélangent sur la porcelaine blanche de mon enfance, disparue des mémoires.

dessin crayon boutons de rose

Crayon sur papier – 15 x 21